L’offre acceptée ne vaut plus automatiquement vente : une décision récente enfonce… le clou !

Publié par , le 21 mars 2019 - , ,

La Cour de Cassation indiquait, dans un arrêt de 1975, que la vente est parfaite dès qu’il y a accord sur la chose et sur le prix et qu’il ne fallait, en principe, rien de plus !
C’est également ce que prévoit le Code civil en son article 1583…
Si votre lecture s’arrête ici, vous pouvez, de manière légitime, considérer que l’accord des parties sur un document d’offre entraîne le caractère parfait de la vente de l’immeuble dont elle fait l’objet puisqu’il y a « accord sur la chose et le prix » !
Force nous est de constater que, si l’article 1583 du code civil n’a pas été modifié, l’appréciation qu’en fait la jurisprudence dans le cadre d’une vente immobilière a considérablement évolué
Pour de nombreux magistrats, si l’offre contresignée par les parties emporte bien des obligations, elle n’engendre plus nécessairement le caractère parfait de la vente.
Pour vous en convaincre, nous vous invitons à prendre connaissance d’un extrait de l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 23 juin 2011 confirmant cette tendance :
« (…), l’offre qui est imprécise sur les éléments substantiels du contrat a pour effet que celle-ci doit être analysée comme une simple proposition d’entrer en pourparlers, sans effet obligatoire pour l’offrant. Même acceptée, elle ne saurait conduire à la formation du contrat.
En d’autres termes, l’acceptation d’une offre incomplète, en ce sens, par exemple qu’elle ne contient pas tous les éléments substantiels du contrat projeté, peut, dans certaines hypothèses, donner naissance à un accord partiel, un contrat-cadre ou un accord de principe. Pour accéder au rang du contrat accompli, ces arrangements précontractuels devront être complétés à la suite de nouvelles tractations. L’accord de principe ne fait naitre qu’une obligation contractuelle de négocier, laquelle doit s’exécuter de bonne foi et dont la sanction ne peut être qu’une condamnation à des dommages et intérêts. »
Cette tendance jurisprudentielle (ici résumée…) s’est maintenue (arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 18.09.2014) et implique donc une responsabilité accrue de l’agent immobilier rédacteur de l’offre.
Il existe en effet un hiatus entre les dispositions réglementaires et les exigences de la jurisprudence…
Un agent immobilier qui soumet un texte d’offre contenant uniquement les éléments essentiels (chose et prix) ne commet aucune « illégalité » MAIS… ne peut garantir le caractère définitif de la transaction pour laquelle il s’entremet.
Ceci veut dire que sur base du document, certes légal, mais incomplet, tant l’acheteur que le vendeur qui aurait signé l’offre pourrait se retirer du processus de vente…
Soyons clair ! Si l’acheteur ne souhaite plus acheter ou que le vendeur ne souhaite plus vendre, cela relève de la volonté de celui qui prend la décision, volonté sur laquelle l’agent immobilier n’a pas la maîtrise….
Mais si l’exercice de cette « volonté » est « facilité » par la faiblesse juridique du document d’offre fourni par l’agent immobilier, c’est plus que vraisemblablement vers lui que se retournera la personne qui s’estime lésée par le comportement de l’autre…
Pour éviter cette situation, l’agent immobilier devra utiliser des documents d’offre très complets dont la signature par toutes les parties ne laisse aucun doute quant au caractère certain de leurs engagements.
Il conviendra donc d’être attentif aux documents type d’offre dont l’agent immobilier dispose et d’en réaliser, éventuellement, une adaptation.
C’est en ce sens que le Tribunal de 1ère instance de Bruxelles (section francophone) a décidé ce 30 novembre 2018 et voici ce qu’il énonce :
« (…) lorsqu’on lit qu’en son article 1583, le code civil considère que l’accord sur la chose et sur le prix suffit à faire naître une vente, il faut aussitôt préciser qu’il est loisible aux parties de convenir que d’autres éléments devront également faire l’objet d’un accord pour que le contrat existe ;

Qu’on doit encore ajouter qu’il est d’usage, en matière immobilière, d’en passer par un compromis de vente avant de se rendre chez le notaire pour y signer un acte authentique ;

Que si cette ultime étape est obligatoire, puisque le contrat doit être transcrit par l’administration fiscale (…), on peut par contre se dispenser de l’étape précédente, du compromis ;
Attendu qu’en l’espèce, l’offre faite par Mme L. fut acceptée, mais il fut entendu qu’on signerait un compromis et qu’à cette occasion une garantie serait versée par la précitée ;

Que se pose alors la question de l’acceptation, en retour, des termes du compromis ;

Qu’en effet, si celui-ci devait se contenter d’acter l’accord des parties sur la chose et sur le prix, il n’aurait aucune utilité dans un dossier comme celui-ci, où l’offre et sa réponse avaient fait l’objet d’un document signé qui suffit à établir que, de ce point de vue, tout était en ordre ;

Qu’à l’heure actuelle, où la vente immobilière est de plus en plus réglementée par diverses normes régionales, les compromis reprennent, à peu de chose près, tout ce qu’ordinairement on trouve dans les actes authentiques, ce qui leur confère un rôle non négligeable dans le processus de conclusions de la vente ;

Que c’est ainsi qu’on y pose souvent certaines conditions suspensives, comme l’obtention d’un financement, l’absence d’infractions urbanistiques, l’absence de pollution du sol, etc, soit une série de points qui revêt pour les parties une certaine importance, voir, une importance certaine ; qu’ainsi, le compromis contient presque toujours des éléments substantiels ;

Que ceci explique que la jurisprudence (et notamment celle de la cour d’appel de Bruxelles, que cite Mme L.) décide régulièrement qu’à partir du moment où les parties ont convenu d’en passer par l’étape non obligatoire du compromis et que celui-ci va au-delà du simple accord sur la chose et sur le prix, il n’est pas possible de considérer que la vente serait née avant que les clauses dudit compromis aient été acceptées ;

Attendu qu’à s’en tenir à ces considérations, on devrait en rester là et décider que seule une offre de vente avait été faite, dont l’acceptation n’avait pas suffi à la naissance du contrat ;

Attendu toutefois, que deux éléments doivent être soulignés, qui amèneront à une conclusion différente ;

Que, tout d’abord, l’offre de Mme L. était déjà assez précise, en ce sens qu’elle indiquait le prix et plusieurs conditions suspensives, soit l’absence de charges privilégiées ou hypothécaires, la production d’un certificat énergétique avant la signature du compromis et du procès-verbal de contrôle des installations électriques avant la signature de l’acte authentique, le respect d’un délai de trois mois entre les deux écrits (compromis et acte) et, enfin, l’obtention d’un financement ;

Qu’il était ajouté que les vices apparents et cachés ne seraient pas garantis par les vendeurs, dans la mesure où ils n’en avaient pas connaissance ;

Qu’ainsi, le compromis n’aurait guère dû innover sur ces éléments, plutôt substantiels ;

Soyez donc prudent quant à la portée que vous accorderez à votre offre acceptée, laquelle varie en fonction de son contenu… contrairement au principe énoncé à l’article 1583 du code civil…

(NB de Pim: on lira également avec intérêt l’article publié par Laurent Collon sur le site Droit Belge, « vente d’immeuble: un contrat parfait par le seul accord sur la chose et le prix ? Rien n’est moins sûr (suite et pas encore fin)

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