Les locataires, leur chien et la convention européenne des droits de l’homme

Publié par , le 21 juillet 2015 - , ,

L’importance des animaux de compagnie, pour bon nombre de personnes, est une évidence. Un candidat à la présidence de la République française, soucieux d’élargir son électorat, l’avait d’ailleurs bien intégré lors d’un débat télévisé devenu célèbre…
Mais l’animal doit rester « domestique » et sa présence dans des lieux loués est rarement appréciée par le bailleur.

Monsieur le Juge de Paix de Mouscron (jurisprudence Liège, Mons et Bruxelles, 2012/26, page 1220) fut saisi d’une demande de résolution de bail dirigée contre un preneur possédant deux chiens : un Rottweiler et un Jack Russel. Le bailleur était une société de logements sociaux et les griefs émanant des voisins se multipliaient.

Le contrat de bail conclu reprenait une clause particulièrement précise :
« Pour les locataires des maisons, il est interdit de détenir plus d’un chien ou chat, pour autant que celui-ci ne soit pas dangereux et à l’exclusion de tout autre animal. De toute manière, la présence d’animaux quels qu’ils soient, ne peut jamais constituer une source d’ennuis ou de dégâts ni pour les voisins, ni pour la société, ni mettre en danger la propreté et l’hygiène des lieux habités tant pour le locataire que pour les voisins ». 

Mais le locataire, très attaché à ses deux animaux, plaidait la nullité de la clause et entendait voir appliquer, au cas d’espèce, l’article 8.1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme en considérant que la clause du bail était attentatoire aux droits à l’intégrité de la vie privée, de la vie familiale et du domicile, laquelle prime sur le droit interne et doit être appliquée par les juridictions nationales…

Monsieur le Juge de Paix, avec la sagesse et le bon sens propres aux magistrats cantonaux, ne suivit pas cette analyse et motiva sa décision comme suit :

« ATTENDU que cette interdiction (reprise dans la clause litigieuse) n’est contraire à ladite convention que dans la seule mesure où il s’agit d’une clause comportant une interdiction générale et absolue sans référence à une quelconque nocivité (voy.Civ. Liège, 16/1/1990, R.G.D.C.90/6, p. 475).

ATTENDU qu’il n’en va pas ainsi de la clause contenue dans l’article 16, paragraphe 3, i du bail puisque :

▸ D’une part, elle n’interdit pas d’avoir un animal : il est seulement spécifié qu’il est interdit de détenir plus d’un chien ou chat.
▸ D’autre part, l’animal ne peut être détenu que pour autant qu’il ne soit pas dangereux, voire même uniquement une source d’ennuis pour les voisins, pour la société, ou mettre en danger la propreté et l’hygiène des lieux tant pour le locataire que pour ses voisins.

ATTENDU qu’il est donc clair que la clause de l’article 16, paragraphe 3, i, du bail ne comporte pas une interdiction générale et absolue de détenir un animal sans référence à une quelconque nocivité ; que la clause est valable.

ATTENDU qu’il est normal que la bailleresse, qui poursuit un objectif social consistant à offrir des logements à des personnes économiquement faibles, et doit gérer un parc important de logements, insère pareille clause dans ses baux »

Toutefois, le Tribunal ne suivit pas le bailleur dans sa demande de résolution du bail en considérant dans l’état actuel du dossier que la mesure était extrême.

Ainsi, le Juge de Paix poursuit : « Qu’elle doit donc se séparer d’un des deux chiens qu’elle détient.

ATTENDU que si le Rottweiler de la défenderesse est une brave bête, il n’empêche qu’il s’agit d’un chien potentiellement dangereux ; que l’actualité a suffisamment démontré qu’un Rottweiler sage et sociable peut avoir une soudaine crise d’agressivité (notamment en été) ;

que ce n’est évidemment pas un hasard si la race Rottweiler a été classée comme chiens dangereux en France (loi du 6/2/1999 renforcée par la loi du 20/6/2008) tandis que les nouveaux propriétaires de chiens en Grande-Bretagne devront implanter une micro puce sous la peau de chaque animal.

ATTENDU que le Rottweiler possède une denture puissante, capable de sectionner un bras humain sans effort ; qu’une fois qu’il se met à mordre, il ne lâche pas sa proie.

ATTENDU que la défenderesse ne peut conserver qu’un chien, elle devra se dessaisir du Rottweiler plutôt que du Jack Russel ».

Ce jugement présente un intérêt certain car cette situation décrite (présence d’animaux dans les lieux loués) est fréquente. Le Tribunal a eu les mots justes pour recadrer utilement la portée de l’article 8 brandi par de nombreux locataires. Les grands principes, c’est bien mais il ne convient pas de les invoquer « à tort et à travers ».

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A la lumière de ce jugement, une autre question peut être posée.

Quid d’animaux non dangereux mais dégradant les lieux loués ?

A titre d’exemple, reprenons le cas de carrelages à remplacer suite à l’incrustation d’urine acide d’animaux (chien ou chat).

Face à de tels manquements, l’absence de clause d’interdiction d’animaux est sans effet.

L’article 1732 du Code Civil trouve à s’appliquer : « Il (le locataire) répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ».

Toutefois, les dégâts seront souvent constatés bien tardivement, lors de la reprise des lieux, ce qui ne donnerait alors au bailleur que la possibilité de porter en compte des dégâts locatifs à charge d’un locataire peut être devenu insolvable.

Cela nous amène à rappeler des dispositions légales rarement utilisées, soit celles reprises dans le Code Judiciaire à l’article 594-1 et aux articles 1025 à 1034.

En effet, pour autant que le bailleur puisse apporter certains éléments démontrant le risque d’une détérioration de son bien en cours de bail, le Juge de Paix, sur requête unilatérale de la partie préjudiciée, peut désigner un expert qui fera des constatations matérielles sans émettre un avis sur la cause et l’étendue du dommage. Cette constatation matérielle, indispensable pour pouvoir étayer ultérieurement dans le cadre d’un débat contradictoire l’existence d’un défaut d’entretien, permettra éventuellement au bailleur de ne pas attendre l’expiration du contrat pour soutenir la faute du preneur et, partant, justifier la demande de résolution du bail.

Il est évident que ces dispositions légales peuvent être utilisées pour tout manquement généralement quelconque à l’obligation d’entretien de la chose louée.

Article reproduit ici sur Pim’s Blog, avec l’aimable autorisation de son auteur, Me Pierre Rousseaux, avocat, président SNPC Charleroi, paru dans le Journal « Le cri » (édité par le SNPC, n° 366, sept. 2012), ledit article ayant été rédigé en fonction de la législation et de la jurisprudence en vigueur au moment de sa publication. 

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