Les obligations de rénovation des immeubles résidentiels en cas d’achat – perspectives régionales comparées

Publié par , le 4 mai 2023 - , ,

Le parc résidentiel belge représente près de 30% des émissions de gaz à effet de serre. Afin d’atteindre les objectifs européens d’une classe de performance énergétique minimale de D pour 2033 et d’une neutralité climatique pour 2050[1], les différents gouvernements en Belgique, poussés par la Commission européenne et le Parlement Européen[2], se sont attelés à non seulement contraindre les acquéreurs à rénover leur bien afin d’en améliorer leur performance énergétique et à inciter lourdement les propriétaires à en faire de même. Cet élan de rénovation a été fortement accélérée depuis la crise énergétique de 2022.

Outre la limitation de l’indexation des loyers en fonction du score PEB[3] qui impacte les propriétaires qui mettent en location un bien immeuble, le Gouvernement flamand impose, depuis le 1er janvier 2023, aux acquéreurs d’un logement[4]présentant un certificat PEB E ou plus énergivore encore à atteindre, dans un délai de 5 ans, un PEB D[5]. 5 A cet égard, relevons deux éléments : le premier est que les classes énergétiques (catégorisées chacune par un label allant de G à A++) ne sont pas identiques entre les trois régions . La seconde est que les limitations d’indexation diffèrent selon ces catégories énergétiques.

Ces nouvelles mesures, prises rapidement dans le cadre de la crise énergétique, témoigne d’une volonté politique certaine d’accélérer la performance énergétique des bâtiments. A cet égard, la politique développée dans les 3 régions se basent (exclusivement) sur le PEB, qui est un certificat obligatoire, dès la mise en vente et la publicité. Toutefois, il y a lieu de relever que cet outil, outre le fait qu’il est sujet à des critiques méthodologiques, reste une approche très théorique de la réelle performance énergétique des bâtiments. Bon nombre de mesures de contrôle existent depuis l’introduction de ce système. Se pose cependant la question de leur application dans la pratique quotidienne.

À l’instar du Gouvernement flamand, les Gouvernements wallon et bruxellois préparent respectivement des projets de décret et d’ordonnance. La présente contribution vise à mettre en perspective ces trois politiques régionales.

La Flandre

La Flandre a décidé de mettre en place, dès le 1er janvier 2023, une obligation de rénovation des biens immobiliers résidentiels[6]. Les nouveaux propriétaires d’un immeuble présentant un PEB E ou plus énergivore devront, dans un délai de 5 an à partir de l’achat[7], rénover leur bien afin d’atteindre un PEB de niveau D. Le niveau de performance à atteindre se resserre dès 2028 : il s’agira d’atteindre un label C et, ainsi de suite, dans les années qui suivent avec une distinction entre les maisons et les appartements[8]. Si cet objectif n’est pas atteint, le gouvernement flamand a prévu des amendes administratives entre 500 et 200.000 euros ainsi qu’un nouveau délai pour les travaux de rénovation, à charge des nouveaux acquéreurs[9].

Cette mesure est accompagnée de différentes aides : un crédit rénovation à taux zéro, un prêt énergie, différentes primes, etc..

Wallonie

En Wallonie, le gouvernement a acté, le 12 novembre 2020, une stratégie wallonne de rénovation énergétique à long terme du bâtiment (action 1.7-a). Ce texte mettant en place des obligations de rénovation des bâtiments lors d’un changement de propriétaires a été adopté en première lecture le 15 décembre 2022 et a été définitivement adopté par le Gouvernement le 21 mars 2023. Il s’agit de l’adoption du Plan Air Climat Energie (ci-après, PACE) 2030.

Le PACE prévoit, qu’en cas de changement de propriétaires[10], soit près de 35.000 transactions immobilières par an, ce dernier devra, à partir du 1er juillet 2026, atteindre un label D dans les 5 ans du changement de propriété. À partir du 1er juillet 2031, l’objectif passe à un label C .[11].

Ce mécanisme doit encore être détaillé et sera également accompagné de diverses aides tel qu’un prêt à taux zéro, de primes « Walloreno ». Point important à souligner, des motifs d’exception sont prévus en cas d’impossibilité technico-économique.

La région Bruxelles-Capitale

En région Bruxelles-Capitale, l’angle d’attaque de la rénovation énergétique est, à ce jour, différente des deux autres régions, étant donné qu’elle a privilégié l’introduction d’un abattement complémentaire lors de l’achat d’un bien[12]. Cet avantage fiscal doit être combiné aux exigences dans le cadre de la procédure PEB, en place depuis 2017, et des primes « Renolution »[13]. Pour bénéficier de cet avantage complémentaire, il faut une amélioration d’au moins deux classes énergétiques dans les 5 ans de l’achat. L’abattement de base pour un immeuble bâti s’élève désormais à 200.000 euros, l’abattement complémentaire à 25.000 euros par saut de la performance énergétique. Concrètement, cela signifie une économie de (25.000 * 12,5%) : 3.125 euros.[14]. On se demande si le Gouvernement a prévu un système plus souple pour les appartements en copropriété, sachant que les copropriétés représentent près de 60% du parc immobilier bruxellois[15].

En parallèle, un projet d’ordonnance modifiant l’ordonnance du 2 mai 2013 portant le Code Bruxellois de l’Air, du Climat et de la maîtrise de l’Energie (COBRACE), est prévu en vue de mettre en œuvre la stratégie de rénovation du bâti. Dans sa stratégie de réduction de l’impact environnemental du bâti existant, la Région Bruxelloise prévoit une mise en œuvre de la stratégie de rénovation du bâti en instaurant un nouveau système d’obligations dans le chapitre relatif à la PEB, notamment, sur base de l’obligation de détenir un certificat PEB pour toute unité PEB, résidentielle et non résidentielle dans un délai de 5 ans à partir de son entrée en vigueur. Toute unité PEB devra, ensuite, faire l’objet de travaux de rénovation afin d’atteindre les exigences de consommation en énergie primaire, qui seront fixées par le Gouvernement, dans les 10 et 20 ans de son entrée en vigueur. La région impose cette obligation au stade du permis d’urbanisme et non pas au stade de l’achat.

Convergence des réglementations ?

On constate donc une certaine convergence des réglementations régionales qui visent à atteindre les objectifs européens salutaires pour le climat. Bien que la Flandre soit pionnière, les deux autres régions lui emboitent le pas. Cependant, la question qui reste ouverte : arriverons-nous à atteindre l’objectif du PEB D pour 2036 ? C’est, en effet, plus de la moitié du parc immobilier qui présente des PEB F ou G. Le chemin vers la neutralité carbone reste donc long et les moyens qui y sont alloués sont fort différents. Certains avaient, par ailleurs, déjà alerté sur le coût économique notablement plus conséquent de rénovations énergétiques en lieu et place d’obligations de constructions plus drastiques depuis, au moins, les années 2000.

Élise Hecq, Avocate chez WERY & Collaborateur parlementaire au Parlement de Wallonie

Jubel.be

Références

[1] COM(2021), 558 final, 2021/0203, Proposition de directive du parlement européen et du conseil relative à l’efficacité énergétique (refonte), Communiqué de presse du parlement européen du 9 février 2023, « Performance énergétique des bâtiments : neutralité climatique d’ici 2050 » ; pour un rappel des précédentes directives : v., Flion, C. et Delvoie, N., « La performance énergétique des bâtiments », Jurim Pratique, 2012/1, p. 135-198.

[2] Le Parlement européen, en séance plénière du 14 mars 2023, s’est d’ailleurs prononcé pour introduire un label pour la Performance Energétique des Bâtiments (ci-après PEB) D minimum pour le parc résidentiel d’ici 2033. Cet objectif devant encore faire l’objet de négociations.

[3] En Flandre: Decreet van 7 oktober 2022, tot wijziging van het decreet van 3 oktober 2022 tot beperking van de indexatie van de huurprijzen om de gevolgen van de energiecrisis te verlichten, publié au Moniteur Belge le 12 octobre 2022 et entré en vigueur le 1er octobre 2022 ; en Wallonie : Décret du 19 octobre 2022 modifiant l’article 26 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation et limitant l’indexation des loyers en fonction du certificat de performance énergétique des bâtiments, publié au Moniteur Belge le 3 novembre 2022 et entré en vigueur le 1ernovembre 2022; Bruxelles-Capitale : Ordonnance du 13 octobre 2022 portant modification du Code bruxellois du Logement en vue de modifier l’indexation des loyers, publié au Moniteur Belge le 12 octobre 2022 et entré en vigueur le 14 octobre 2022 .

[4] Observons que l’obligation concernant l’obligation de rénovation énergétique de certains bâtiments non résidentiels est d’application depuis le 1er janvier 2022.

[5] Article 11.2/2.1 du décret de l’Energie.

[6] Décret du 18 mars 2022 modifiant le décret sur l’énergie de 8 mai 2009, MB 30 mars 2022. Ce décret énergie avait été modifié, pour les immeubles non-résidentiels, par un Arrêté du Gouvernement flamand du 9 juillet 2021 modifiant l’arrêté relatif à l’énergie du 19 novembre 2010, en ce qui concerne l’introduction d’une obligation de rénovation pour les bâtiments non résidentiels et des dispositions relatives au certificat de performance énergétique pour bâtiments non résidentiels, MB 10 aout 2021.

[7] Le texte parle d’achat, droit de superficie, emphytéose. L’obligation ne concerne pas les transferts de bien lors de divorce ou de séparation ou de sortie d’indivision, ni les successions ou fusion. Notons en parallèle les modifications législatives relatives aux obligations de disposer d’un PEB qui elles, ont un champ d’application plus large, même si certaines de ces opérations juridiques ne sont pas visées par des obligations de rénovation énergétique.

[8] C’est l’un des problèmes majeurs de ces politiques : l’articulation entre les règles de droit civil (majoritairement encore fédérales : droit de la copropriété, droit réel pour les servitudes ou les empiètements, processus consensuel de la vente,…), la pratique bancaire et les obligations administratives diverses et variées ; il en résulte que l’acquéreur se retrouve bien souvent en position de contorsionniste. Contorsionniste dans le sens où certains travaux d’isolation ou de rénovation énergétique touchent nécessairement les parties communes et nécessitent donc l’accord des copropriétaires (majorité simple – 50%+1).

[9] Les successeurs pour cause de mort d’un auteur qui était soumis à ces obligations se verra bien inspiré d’être attentif au délai de 5 ans… Il pourra avoir son attention attirée sur le sujet par le nouvel acte d’hérédité art. 4.59 du Code civil).

[10] Contrairement au décret flamand, l’obligation concerne les changements de propriétaire en cas d’héritage, à l’exclusion des situations où le conjoint survivant reste dans les lieux.

[11] Action 381 du PACE. Le Gouvernement wallon est très précis quant aux obligations en matière de baux et de performances énergétiques des bâtiments loués. Pour les biens mis en location pour la première fois, la PACE prévoit qu’à partir de 1er janvier 2025, le label minimum sera de F et dès le 1er octobre 2028, page 85 du PACE, version finale adoptée le 21 mars 2023.

[12] Ordonnance du 17 novembre 2022 modifiant l’abattement sur le droit de vente et introduisant un abattement complémentaire sur le droit de vente en cas d’amélioration de la performance énergétique, MB 5 décembre 2022, entré en vigueur le 1er avril 2023.

[13] 45 primes mises en place depuis novembre 2022.

[14] Le nouvel article 46ter du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe est modifié et précise les modalités d’obtention de l’abattement. A défaut de s’engager directement dans l’acte notarié à effectuer les travaux nécessaires de rénovation, l’acquéreur pourrait encore bénéficier de cet abattement complémentaire à condition d’en faire la demande dans un délai de 6 mois à compter de l’enregistrement de son titre. Gageons qu’un Gouvernement soucieux d’une réelle rénovation énergétique d’une part allonge, rapidement, ce délai et, d’autre part, étende le mécanisme de la restitution.

[15] La conjonction du phénomène de copropriété avec l’obligation de s’engager dans l’acte authentique d’acquisition (sous réserve d’une déclaration complémentaire dans les 6 mois) devrait être de nature à faire réfléchir les acquéreurs aux engagements qu’ils souhaitent prendre car à défaut de respecter les conditions, les sanctions sont lourdes financièrement.

 

Illustration: Depositphotos

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