Le montage en indivision est-il devenu une chimère ?

Publié par , le 20 mars 2023 - , ,

Il est fréquent qu’une société soit copropriétaire d’un bien avec son administrateur, personne physique. Il se crée alors une indivision.

Lorsque l’indivision prend fin, deux dispositions sont potentiellement applicables, à savoir :

– L’article 109,2° du code des droits d’enregistrements (« Le droit est fixé à 1 p.c. pour : les cessions à titre onéreux, entre copropriétaires, de parts indivises dans des biens immeubles» ). Dans cette hypothèse, la personne qui va acquérir la part indivise paiera des droits d’enregistrements de 1% ou de 2,5% (Région flamande) au lieu de 12,5%.

– l’article 130 de ce même code qui prévoit une règle générale de taxation à 10% (région flamande) ou 12,5% lorsqu’il y a une acquisition par un ou plusieurs associés directement ou par des personnes liées, autrement que par voie d’apport en société, d’immeubles situés en Belgique provenant d’une société par actions, ou d’une société coopérative. Cette disposition concerne les sociétés de capitaux comme la SA. Des tempéraments sont possibles pour les sociétés de personne – SRL-, mais nous les évoquerons ultérieurement.

Position administrative – application du taux de 10% ou de 12,5%

L’administration fiscale se fonde sur une décision du 22.09.2014, n° E.E./106.218, publiée dans le Répertoire RG, qui est motivée en ces termes :

« Acquisition en indivision d’un bien immeuble par un associé et sa société. La société renonce à sa part dans le bien immeuble au profit de l’associé copropriétaire.

L’article 129 est très explicite : chaque acquisition par un associé autrement que par voie d’apport en société est soumise au droit prévu pour les ventes.

L’article ne distingue pas selon que l’associé a agi en qualité d’associé ou non.

Les textes légaux clairs ne nécessitent pas d’interprétation. La loi spécialisée (art. 129 C. Enr.) a primauté sur les textes de loi généraux (art. 109 e.s. C. Enr.)

Le fait qu’un associé soit traité autrement qu’un non-associé est une particularité de ces articles qui sont des articles anti-fraude ».

Cette position a été critiquée par Pierre-Francois Coppens le 27 mars 2020 dans un article publié sur taxwin (https://expert.taxwin.be/fr/tw_actu_h/document/ht20200327-4-fr?keyAnchor=reprj.cde.E130.06-01-fr).

Ainsi, il énonce judicieusement que : « Cette position adoptée par l’administration fiscale se heurte par ailleurs au principe d’égalité garanti par la Constitution. Il est évident que la Décision crée une discrimination entre deux catégories de contribuables : ceux qui sont copropriétaires d’un immeuble détenu pour partie par une société et qui en sont associés et ceux qui ne le sont pas. Cette différence de traitement est d’autant plus inacceptable qu’elle est contraire aux objectifs de l’article 129 puisqu’ à l’instar du non-associé, l’associé a bien payé les droits d’enregistrement lors de l’acquisition du bien immobilier et n’a donc commis aucun abus ou fraude dénoncé par cette disposition. » 

 La jurisprudence

La cour de cassation vient de confirmer le 6 janvier 2023 (Rôle n° F.19.0026.N) la position administrative.

Les faits étaient relativement simples. Un actionnaire (5%) et la société anonyme (95%) avait acquis un bien en indivision le 23/10/2003. L’actionnaire a acquis le 25/11/2014 de la société tous les droits indivis sur l’immeuble. L’opération a été soumise au droit de partage, mais le fisc a appliqué le droit de vente en se fondant sur la décision administrative du 22 septembre 2014

La cour de cassation va énoncer les règles suivants : « Il ressort de la genèse législative de l’article 130 du Code des droits d’enregistrement que c’est bien cet article, et non l’article 109, 2°, du Code des droits d’enregistrement, qui est applicable pour toute acquisition par un associé de biens immobiliers situés en Belgique provenant d’une société de capitaux, quelle que soit la manière dont elle est effectuée.

C’est ainsi que c’est également l’article 130 du Code des droits d’enregistrement qui est d’application pour l’acquisition par un associé en sa qualité de copropriétaire d’un immeuble des droits indivis dans le bien provenant de la société de capitaux dont il est un associé.
Il découle du texte et du lien entre les deux dispositions légales, ainsi que de la règle selon laquelle les lois particulières qui dérogent à la loi générale sont appliquées, par priorité et à l’exclusion des lois générales, qui est une règle d’interprétation pour le concours de dispositions légales, que l’article 130 du Code des droits d’enregistrement est une disposition particulière qui doit être appliquée par priorité et à l’exclusion de l’article général 109, 2°, du Code des droits d’enregistrement.

L’article 130 du Code des droits d’enregistrement est applicable sur l’acquisition par un associé ou un actionnaire de sa société des droits indivis sur un immeuble par abandon de ces droits indivis par la société à l’associé ou à l’actionnaire, même si l’achat commun antérieur en indivision du bien par la société et l’associé ou l’actionnaire a été soumis au droit d’enregistrement proportionnel d’achat »

Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne d’un arrêt de la cour constitutionnelle du 20 janvier 2022 (arrêt n°9/2022) qui énonce que : À la lumière de la disposition en cause, il existe des différences fondamentales entre, d’une part, le rapport entre une société anonyme et ses associés et, d’autre part, le rapport entre une société anonyme et un tiers.

Un associé exerce en effet un droit de vote, voire un droit de contrôle, au sein d’une société anonyme. Il peut donc inciter cette société anonyme à participer à un montage fiscal qui ne sert pas tant l’intérêt de la société, mais qui a pour but unique ou principal de l’aider à éluder des droits d’enregistrement.

Un tiers, en revanche, n’a pas de droit de vote ni de pouvoir de contrôle au sein de cette société anonyme.

Le législateur a dès lors pu prendre en compte le fait qu’il est moins probable qu’un tiers puisse amener une société anonyme à participer à un tel montage.

Par ailleurs, dans un tel montage, un tiers serait également redevable, en vertu de l’article 113 du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe, du « taux prévu pour les transmissions à titre onéreux » sur les quotités dont il devient propriétaire. 

En vertu de la disposition en cause, un droit d’enregistrement de 10 % est perçu sur la valeur de la cession totale ou partielle d’un immeuble d’une société anonyme à un de ses associés.

Un impôt prévoyant un tel taux d’imposition, qui est directement lié au prix payé ou à la valeur du bien ne constitue pas une charge disproportionnée pour l’acquéreur.

Étant donné que ce transfert de propriété ne peut s’opérer que moyennant la déclaration de volonté du redevable, il lui est par ailleurs loisible de renoncer à la transaction s’il ne souhaite pas payer l’imposition à laquelle celle-ci donne lieu. 

L’article 130 du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à cette Convention, en ce qu’il est applicable à l’acquisition à titre onéreux, par un copropriétaire d’un immeuble, de droits indivis dans ce bien provenant d’une société anonyme dont il est associé.

 Nos conseils

Deux conseils en découlent.

Le premier concerne l’inutilité, au regard des règles actuelles du Code des sociétés et association, d’acquérir un bien avec une société de capitaux, soit une société anonyme. Les règles ont été simplifiées et il dorénavant facile d’acquérir un bien avec une société de personnes, soit la société à responsabilité limitée.

Si un actionnaire veut toutefois modifier la structure juridique de la société (transformer la société anonyme en société à responsabilité limitée), il risque de se voir opposer la mesure anti-abus. L’administration fiscale pourrait lui dire que sa transformation de société lui est inopposable.

Le second conseil concerne les sociétés de personnes. Tout d’abord, il faut que la personne physique qui acquiert le bien avec la société, soit actionnaire de cette société et pas uniquement administrateur.

Ensuite, cet actionnaire pourra bénéficier du régime préférentiel de l’article 129 du code des d’enregistrements lorsque :

– lorsque les immeubles apportés à la société sont acquis par la personne qui a effectué l’apport ;

– les immeubles acquis par la société avec paiement du droit d’enregistrement fixé pour les ventes, lorsqu’il est établi que l’associé qui devient propriétaire de ces immeubles faisait partie de la société au jour de l’acquisition par celle-ci.

Ce régime préférentiel disparait lorsque le bien acquis doit subir des aménagements, des constructions, des reconstructions ou des transformations nécessitant un permis d’urbanisme.

Il est donc inutile d’acheter une ruine avec sa société, de faire supporter tous les travaux par la société et de récupérer le bien pour presque rien…

Ces décisions ne sont pas du tout rassurantes pour les investisseurs. Une bonne réflexion s’impose lors d’un tel montage.

Illustration: depositphotos

 

 

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