L’achat répété est-il toujours judicieux fiscalement ?

Publié par , le 26 juillet 2022 - , ,

La question de savoir si des achats immobiliers répétés doivent ou non être considérés comme une opération normale du patrimoine privé est une question de fait qui est laissée à l’appréciation du tribunal.

Ainsi, la gestion d’un patrimoine privé se distingue, en fait, de l’exercice d’une occupation lucrative ou de la spéculation, tant par la nature des biens immeubles, valeurs de portefeuille, objets mobiliers que par la nature des actes accomplis relativement à ces biens; ce sont les actes qu’un bon père de famille accomplit, non seulement pour la gestion courante, mais aussi la mise à fruit, la réalisation et le remploi d’éléments d’un patrimoine, c’est-à-dire des biens qu’il a acquis par succession, donation ou par épargne personnelle ou encore en remploi de biens aliénés.

Pour déterminer si une opération immobilière entre ou non dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé, il faut considérer que l’intention lucrative ne se confond pas avec le but spéculatif. La première notion s’entend de la recherche d’un bénéfice, ce qui est normal tant dans une gestion patrimoniale tandis que la seconde notion poursuit aussi un bénéfice mais fonde celui-ci sur les fluctuations escomptées d’un marché, hausse ou baisse des prix à venir et s’apparente ainsi au jeu ou au pari.

Celui qui gère son patrimoine privé peut et doit le faire d’après toutes les connaissances qu’il peut avoir et au mieux de son intérêt, sans que pour cela cette gestion change de caractère du point de vue fiscal.

Décisions récentes des cours d’appel

Les Cour d’appel de Bruxelles, Liège et de Mons ont chacune rendu des décisions à ce sujet. Les traits d’union entre ces décisions est l’appétit plus que démesuré du contribuable.

Les faits soumis à la cour d’appel de Bruxelles étaient les suivants. Les contribuables ont acheté un terrain avec un entrepôt, ont fait démolir l’immeuble et ont construit un immeuble de 5 appartements qu’ils ont vendus rapidement.

La Cour d’appel décide, le 11 avril 2018, 2014/AF/96, qu’il y a une gestion anormale du patrimoine privé au sens de l’article 90, 1° C.I.R. 92. Elle se base sur les éléments suivants :

– l’utilisation très limitée de ressources propres ;

– le montant très élevé des financements externes, qui exposaient les contribuables à un risque financier important et élevé ;

– la réalisation très rapide du projet immobilier (les biens immobiliers n’ont appartenu que peu de temps au patrimoine privé des contribuables) ;

– l’engagement très précoce d’un agent immobilier professionnel ;

– le nombre d’appartements construits, qui exige des efforts particuliers et un emploi du temps chargé de la part du maître d’œuvre pour ce qui concerne la planification, l’exécution, le suivi et l’achèvement du projet immobilier ;

– le remboursement partiel très anticipé du capital des crédits, financé par les prix de vente déjà perçus du projet immobilier ;

– le fait que les crédits ne prévoyaient pas de d’amortissement du capital, mais seulement que des intérêts seraient payés sur le capital emprunté ;

– le court terme d’un crédit ;

– le court laps de temps entre l’achat du terrain et de l’immeuble (2005) et la vente des derniers appartements achevés (2009).

Les redevables ont pris, pendant un court laps de temps, un gros risque pour la construction et la responsabilité vis-à-vis des acquéreurs des appartements et se sont soumis aux aléas du secteur immobilier.

L’opération immobilière dans son ensemble dépasse la gestion normale du patrimoine privé, de sorte que les plus-values imposables sont pleinement imposables comme prévu par l’article 90, 1° du CIR 92.

Les faits soumis à la Cour d’appel de Liège étaient les suivants. Le contribuable n’avait aucun patrimoine immobilier ni perçu d’héritage avant d’acquérir 5 immeubles en 3 ans durant les années 90. Il ne disposait donc d’aucune épargne personnelle.

Ces immeubles ont chacun été acquis au moyen de crédits hypothécaires.

Un des immeubles a été subdivisé en quatre appartements et un rez-de-chaussée commercial, loué pour y exploiter un bar. Il a été revendu, à concurrence de la moitié. L’année suivant, le contribuable a racheté la moitié indivise cédée.

Dans les autres immeubles, il avait ouvert des bars et des cafés. Une société de droit luxembourgeois assurait la gestion de ces établissements.

La cour d’appel de Liège a relevé, le 20 février 2018, 2016/RG/598, que la répétition quantitative de ces multiples opérations séparées l’une de l’autre par un délai de trois ans, combinée au nombre d’immeubles mis en location et à l’objectif avoué de mise en location et de rentabilité, la gestion administrative et financière des locataires, constituent autant d’indices d’une activité continue qui suffisent à démontrer que les loyers encaissés par le contribuable en sa qualité de propriétaire constituent des revenus professionnels et doivent être imposés comme tel.

Les faits soumis à la cour d’appel Mons étaient les suivants. Monsieur et Madame émargent au chômage le premier depuis 1987 et la seconde depuis 1994.

Depuis les années 1990, ils ont fait l’acquisition d’un grand nombre de biens immobiliers en recourant à l’emprunt. Ils mentionnaient les revenus au cadre IV (revenus immobiliers) de la partie I de leur déclaration à l’impôt sur les revenus.

Dans le courant de l’année 1999, l’administration fiscale a reçu une lettre de dénonciation accusant Monsieur d’utiliser des personnes en noir pour effectuer des travaux de rénovation de bâtiments qu’il achète et loue à d’autres personnes.

La cour d’appel de Mons a déclaré le 16/07/2019, 2017/RG/524, que : «Pour que des opérations immobilières accomplies par une personne physique ne soient pas considérées comme des actes de gestion normale d’un patrimoine privé, l’administration fiscale doit établir, en usant des modes de preuve admis par l’article 340 CIR92, qu’il s’agit d’un ensemble d’opérations suffisamment nombreuses, répétées et liées entre elles pour constituer une activité habituelle et continue, présentant un caractère professionnel, exercée par un contribuable qui peut avoir une compétence spéciale en la matière et les effectue dans une intention délibérée, et en tout temps, avec un esprit de précision, d’observation et de calcul.

La question de savoir si une activité revêt un caractère professionnel gît en fait.

A cet égard, la fréquence et l’importance des transactions, le recours important à l’emprunt hypothécaire, l’importance des travaux de rénovation et de transformation réalisés, l’importance des tâches de gestion administrative et financière ainsi que l’entretien de tous les bâtiments constituent des circonstances déterminantes. »

Les circonstances de fait n’étaient guère favorables aux deux contribuables. Ils étaient au chômage, avaient contracté des emprunts hypothécaires pour plus d’un million d’euros, avaient mis en location 46 biens pour un montant annuel de loyers estimés à 221.820€.

Il est indéniable que l’activité de gestion de biens immeubles déployée par les contribuables constituait un ensemble d’opérations qui étaient suffisamment fréquentes et liées en elles pour constituer une occupation continue et habituelle.

Quelques Guidelines à retenir

Même si la charge de la preuve incombe à l’administration fiscale, les cours et tribunaux ont égard à certains éléments, à savoir :

  • La répétition des achats ;
  • La valeur vénale des biens ;
  • L’importance financière des opérations ;
  • Le moyen d’acquérir : s’agit-il d’une vente “classique” ou d’un montage complexe démembrement de la propriété, donation, etc…) ;
  • Le recours au crédit bancaire : quel est le pourcentage de fonds propres investis dans le projet ? Quel est le risque pris par l’emprunteur ? ;
  • Le délai entre l’achat et la vente : en fonction de la durée, on peut considérer qu’il y aurait spéculation si un délai relativement court s’écoule entre l’achat et la vente ;
  • Le recours à des professionnels du secteur immobilier : cette condition est discutable dans la mesure où l’on peut considérer qu’un bon père de famille fera appel à des professionnels s’il est néophyte dans le secteur immobilier.
  • Le nombre d’opérations et l’importance de celles-ci : le contribuable est-il “un habitué” des opérations immobilières ? S’agit-il d’opérations importantes au niveau financier ?
  • Les garanties liées à l’emprunt ;
  • Les opérations d’achat et de location d’immeubles auxquelles le redevable s’est livré sont suffisamment nombreuses et liées entre elles pour former une activité stable, habituelle, continue et donc assimilable à une exploitation exercée régulièrement ;
  • Les opérations ont été réalisées de manière systématique, programmée et avisée pour aboutir à la constitution d’un capital immobilier dont les fruits, proportionnellement importants, représentent une part importante des revenus lucratifs du redevable ;
  • La mise en place d’un système de spéculation risqué que n’aurait pas réalisé un investisseur prudent et avisé.
  • Le lien étroit entre l’activité professionnelle principale du contribuable et les opérations : un agent immobilier aura plus de risque de voir une opération requalifiée compte tenu de son secteur d’activité à l’inverse d’un salarié.

En conclusion

Si l’administration veut taxer un revenu comme revenu professionnel, elle doit prouver à partir des circonstances de fait et de présomptions que les achats immobiliers s’écartent de la gestion normale du patrimoine privé.

Malheureusement, ce n’est pas une science exacte. Le lecteur l’aura bien compris. L’opération ou l’ensemble des opérations devront s’interpréter dans un contexte global.

Avant de se lancer dans des achats à répétitions, le contribuable sera avisé, avec son conseil, de faire une analyse de la jurisprudence et de voir si les circonstances de fait sont favorables à la réalisation de cette opération.

A télécharger:

* décision appel bxl 2018

* décision appel liège 02-2018

* décision appel Mons 2019

 

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